Notes
sur le Taoïsme. ... Le Taoïsme se développa avec un succès prodigieux dans l'Empire des Han et atteignit son apogée sous les Six Dynasties, quand le monde chinois était en ébullition politique et religieuse. Au VIIè siècle, la paix des Tang lui fut fatale, en ramenant l'ordre confucéen dans les esprits comme dans l'administration ; la concurrence du Bouddhisme l'usa également. Il perdit peu à peu son emprise sur les masses populaires, pour se réduire à n'être qu'une religion de moines et un culte de sorciers ; et, malgré l'éclat que lui valut la renommée de quelques grands religieux des siècles suivants, il commença dès lors la longue décadence qui devait l'amener à son état moribond d'aujourd'hui. Le Taoïsme est une religion de salut qui se propose de conduire les fidèles à la Vie Éternelle. Ce salut est conçu non pas comme une immortalité spirituelle après la mort, mais comme une immortalité matérielle du corps. Les Taoïstes croyaient, comme l'ont toujours fait les Chinois, que le monde se gouverne tout seul, et qu'il n'y a aucun besoin que les dieux s'en mêlent. Ainsi les dieux, les saints, les grands Immortels qui auraient le pouvoir de gouverner le monde, le laissent-ils aller en se gardant bien d'en déranger le mécanisme. Du plus grand au plus petit ils sont tous des instructeurs ; et ce qu'ils enseignent, ce sont les procédés du SALUT. Tels sont les dieux taoïstes, et tel est leur rôle dans le monde. Dans le monde gréco-romain, on prit tôt l'habitude d'opposer Esprit et Matière, ce qui, dans les conceptions religieuses, se traduit par l'opposition d'une âme spirituelle unique au corps matériel. Pour les Chinois, qui n'ont jamais séparé Esprit et Matière, mais pour qui le monde est un continu qui passe sans interruption du vide aux choses matérielles, l'âme n'a pas pris ce rôle de contrepartie invisible et spirituelle du corps visible et matériel. ... Au contraire, le corps est unique, il leur sert d'habitat (aux âmes) à toutes ainsi qu'à d'autres esprits. Aussi est-ce seulement dans un corps que l'on conçut la possibilité d'obtenir une immortalité continuant la personnalité du vivant et non divisée en plusieurs personnalités dont chacune, fragment de celle du vivant, vit d'une existence séparée. Ce corps nécessaire, les Taoïstes auraient pu croire qu'il serait un corps nouveau créé dans l'autre monde. Ils acceptèrent cette idée pour la délivrance des morts, imaginants dans l'autre monde une fonte des âmes par laquelle le mort recevait un corps immortel si les vivants intervenaient en sa faveur par des prières et des cérémonies appropriées ; mais ils ne la généralisèrent pas. C'est la conservation du corps vivant qui resta toujours le moyen normal d'acquérir l'immortalité ; c'est lui, ce corps mortel, qu'il s'agit de prolonger, ou plutôt de remplacer au cours de la vie par un corps immortel en faisant naître et en développant en soi-même des organes immortels, peau, os, etc., qui se substituent peu à peu aux organes mortels. L'Adepte arrivé à ce point ne meurt pas et "monte au ciel en plein jour". (2) Le corps humain (microcosme) est en correspondance avec le corps du ciel et de la terre (macrocosme). Ce macrocosme est lui aussi peuplé de divinités. La vie y pénètre avec le SOUFFLE : ce Souffle, descendant dans le ventre par la respiration, s'y unit à l'Essence enfermée dans le Champ de Cinabre inférieur, et leur union produit l'Esprit, qui est le principe recteur de l'homme, le fait agir bien ou mal, lui donne sa personnalité. (Penser au Ba de l'Égypte). Gros problème : comme plus haut il est question
de SOUFFLE, et donc d'exercices consistants à retenir son Souffle,
il semble difficile qu'avec l'âge, il soit inutile de s'adonner à ces
pratiques passé 70 ans : nul homme qui se met à 70 ans à la
poursuite de l'immortalité ne peut l'atteindre. Si le destin est
de mourir prématurément, il est bien difficile d'y échapper
; à moins d'avoir fait des progrès pour que le Directeur
du Destin raye le nom du Livre de Mort pour le porter sur le Livre de
Vie. Il existe deux registres où sont inscrits à leur naissance
les noms de tous les hommes : l'un, le plus volumineux, est celui des
hommes du commun, et des infidèles, c'est le Livre de Mort ; le
dieu avec ses scribes y inscrivent le nom, le sexe et le temps de vie
alloué à chaque enfant à sa naissance. L'autre,
le petit, est celui des futurs Immortels, c'est le Livre de Vie ; et,
dès ce moment, ils sont sûrs d'atteindre tôt ou tard
l'Immortalité, à moins de commettre quelque faute grave
qui ferait rayer leur nom sur le Livre de Vie et le ferait retomber,
définitivement cette fois, au Livre de Mort. Comptabilité bien
tenue indique que nul ne peut échapper à la mort et devenir
un Immortel par surprise. Pour terminer ces notes, ne jamais oublier : beaucoup connaître est pernicieux ! (1)
Rappel : pour le Bouddha et comme toute la pensée indienne,
l'existence humaine était voué à la souffrance par
le fait même quelle se déroulait dans le temps.
[D'après : Le Taoïsme et les religions chinoises, de Henri Maspero ; chapitre : le Taoïsme dans les croyances religieuses.] |
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