Les mauvaises herbes, ça n'existe pas.

The Queen's hidden garden (Le jardin secret de la Reine), tel est le titre d'un beau livre, bien écrit et joliment illustré, de David Bellamy, botaniste et autorité internationalement reconnue sur la vie des plantes et l'environnement. Ce « jardin secret » se compose de la multitude des plantes qui auraient été normalement rejetées en tant que « mauvaises herbes ». Il suffit au lecteur de parcourir ce livre d'un œil rapide pour se rendre compte du trésor de beauté que recèlent ces prétendues mauvaises herbes. Bien que ces « mauvaises herbes » fassent tout autant partie de la vie végétale que les autres plantes qui sont plus en faveur auprès des hommes, on les appelle « mauvaises » soit parce qu'elles poussent sans être cultivées, soit parce qu'elles surgissent au mauvais endroit. Un rosier au milieu d'un champ de maïs est une mauvaise herbe, une graminée dans un parterre de fleurs est une mauvaise herbe, maïs il n'en va pas de même sur un gazon. En d'autres termes, une herbe n'est mauvaise que parce qu'elle contrarie les plans de l'homme. Il n'y a pas de mauvaises herbes en un lieu sauvage ou dans un bois où les desseins et les façons de faire de la nature s'imposent sans être contrariés par l'homme.
Les descriptions et les illustrations contenues dans le livre font voir que les mauvaises herbes sont aussi belles que les plantes cultivées. Et pourtant, elles sont rejetées comme rebut quand on les considère du point de vue de l'utilitarisme. L'appréciation de la beauté est totalement ou partiellement faussée quand on la subordonne à des facteurs qui lui sont étrangers comme la grosseur, la possibilité de vendre, et ainsi de suite. En conséquence, une grosse rose reçoit plus d'admiration qu'une petite, et une nouvelle variété, bien qu'en fin de compte elle soit de couleur bizarre, est plus recherchée qu'une autre connue depuis longtemps. La beauté des « mauvaises herbes » ne trouve pas place dans un système commercial ou artificiel.
Dans le règne humain aussi, il y a abondance de « mauvaises herbes ». Les sujets « cultivés » ne sont pas nécessairement plus beaux parce que la culture implique souvent un vernis extérieur qui s'écaille facilement dans l'épreuve. Trop souvent, la culture dissimule le caractère artificiel et la ruse qui conduit à la réussite dans la compétition. Ce sont les sujets qui sont susceptibles de mépriser les « mauvaises herbes », surtout quand celles-ci ont tendance à surgir aux mauvais endroits et à contretemps. Les pauvres surgissent là où l'on ne veut pas d'eux et ont même quelquefois la témérité de faire connaître leurs besoins, ainsi que le montrent les récits frappants de Charles Dickens, Même encore maintenant, la situation n'est pas très différente dans le Tiers Monde et peut-être ailleurs. Les « grands » de ce monde, la plupart du temps, ne reçoivent pas cette épithète à cause de leur vertu ou de la douceur de leur vie, mais à cause de leur réussite et de leur puissance.
Le temps est venu d'examiner la valeur des « mauvaises herbes » de la terre. Peut-être n'y a-t-il pas de mauvaises herbes mais seulement des « jardins secrets ».

Radha Burnier - The Theosophist - Juillet 1985