Le viol des foules

 

 

Les ouvriers, les « travailleurs » comme les appelle Arlette Laguiller, la « France d’en bas » dans la règne de Sarkozy sont la matière première pour ceux qui pratiquent le « viol des foules », qui en connaissent la musique et savent utiliser tout le clavier des moyens sensibles en vue de déclencher les réactions psychiques et mentales dont on a besoin. Mais cette malléabilité psychique n’est pas spéciale aux prolétaires, elle les caractérise seulement ; les intellectuels sont aussi des êtres « fabriqués ».

 

Il n’y a donc pas à proprement parlé de « pensée ouvrière ou prolétarienne », ce que prétend le marxisme. Il y a d’une part les ouvriers, le prolétariat, et plus généralement le peuple (la France d’en bas), et d’autre part des penseurs, des intellectuels, qui ont entreprit de leur faire avaler l’activité d’un système philosophique qu’ils ont pondu.

Le prolétariat, « La France d’en bas » éprouve des besoins, des malaises psychologiques, liés à des carences de jouissance matérielle, intellectuelle et spirituelle, mais il est incapable de les exprimer en langage clair. Au pire, il ne peut que la révolte aveugle et inorganisée (si elle est déclenchée par des meneurs), c’est-à-dire être des gens dont l’esprit s’éveille déjà et prennent conscience qu’ils doivent, pour être de vrais êtres humains, refuser ce consentement obscure et amorphe à n’être que des instruments sociaux utilisés par les classes dirigeantes, dont le dogme la laïcité entre en bonne place.

L’anarchie, qui ne demande qu’un minimum d’élaboration intellectuelle, est la forme la plus spontanée de la révolte du prolétariat. Le marxisme, lui, n’est nullement spontanée, il est éminemment une production intellectuelle qui, en professant que la matière est la source de tous les êtres, l’être en soi, ne peut trouver, pour appliquer son activité, une meilleure matière première que le prolétariat en proie aux impressions et aux besoins physiques.

Ceux qui pensent : ceux chez qui l’acte d’intellection a acquis son autonomie en se libérant de ce que lui dictent les impressions de la part du sensible, se découvrent la fonction naturelle d’éducateur. C’est normal, et c’est aussi « une métamorphose spirituelle de l’homme » que le marxisme se propose, à cela près que les principes en sont faux et qu’il ne s’agit en réalité que d’une métamorphose psychique.

« Tel genre de vie, tel genre de pensée ». Si cela est vrai, il y a le détail : c’est qu’une pensée qui est le produit, le résultat, la sécrétion du genre de vie n’est pas à proprement parler une pensée, mais seulement une opinion. En ce sens il y a bien une opinion du prolétariat, ou une dominante statistique dans les opinions individuelles des prolétaires, tout aussi bien qu’une opinion bourgeoise, ou aristocratique. Il convient de réserver le nom de « pensée » à l’acte de l’intellect qui a atteint son autonomie, a coupé le cordon ombilical qui le reliait au genre de vie, renversant ainsi les rôles. D’objet informé par le genre de vie, l’intellect devient sujet acteur informant le genre de vie.

Rappel : C’est la Révolution de 1789 qui a établi le culte de l’opinion comme critère de vérité politique. Le peuple le croit, mais les vrais politiques, les hommes et femmes de pouvoir qui ne sont pas nécessairement ceux dont on publie les noms, ne sont pas dupes parce qu’ils ont pouvoir de fabriquer des opinions à leur convenance.

(En référence à Jean Coulonval et son livre : Synthèse et Temps Nouveaux)