Ces trois traits ou paliers représentent l’essence de la nature humaine : capable d’aimer (palier supérieur) ; connaître (palier intermédiaire) ; sentir (palier de base).
De l’invisible vers le visible.
L’essence est invisible, elle est commune à tous les êtres humains. Hors du temps et de l’espace, cette essence apparaît chez l’être humain après avoir été « mise au monde » dans son existence bien charnel : ce n’est que dans des individus vivants et concrets sur l’essence peut passer à l’existence.
Cette conception est décrite d’après le Docteur A. Stocker dans son livre :
Santé et Folie du monde. Il a étudié cette Trinité pendant des décennies. Ainsi pour lui cette Trinité n’est pas arbitraire car elle est inhérente à la nature des rapports que leur possibilité de fonctionnement établit entre les trois paliers.
On retrouve cette conception de paliers non seulement dans les Trigrammes du Yi King, mais de manière encore plus détaillée dans les
Hexagrammes. Avant tout le moteur c’est le MOUVEMENT, donc la vie.
Le Docteur Stocker était psychiatre, dans le domaine des névroses, et parfaitement clair dans son approche de l’humain.
Dans le Yi King l’essentiel est l’immanence dont le principe est la TRANSFORMATION dans un perpétuel INSTANT.
Dans l’Hexagramme en partant de bas en haut nous avons :
- Position 1 : vile ou primaire. Peuple.
- Position 2 : petit fonctionnaires.
- Position 3 : Modeste autorité, transition.
- Position 4 : fonctionnaires, ministres.
- Position 5 : autorité, le maître ou le souverain.
- Position 6 : le Sage.
Les trois positions dans le Trigramme correspondent à (toujours en partant de bas en haut) :
- Position 1 : la terre ou monde des formes.
- Position 2 : l’être humain.
- Position 3 : le Ciel ou le contenu.
Il est dit que les traits et leur mutation dans les Hexagrammes reproduisent les mouvements qui s’accomplissent sur Terre ; et lorsque les éléments ne s’accordent pas entre eux il y a danger : ainsi selon la position des traits, comme dans la vie, un ministre peut devenir fort et le souverain faible.
On voit donc que comme pour le développement d’une plante, il y a croissance, mais pas hiérarchie, car le palier supérieur découle directement du palier inférieur ! lequel est fondamental pour la croissance.
Cela dit, la comparaison du Yi King avec le schéma ci-dessous du Docteur Stocker s’arrête là, car il s’agit avant tout de connexion.
Je vais suivre le schéma du Docteur Stocker :
Conception UNI-TRINITAIRE
- Position a : aimer.
- Position b : connaître.
- Position c : sentir.
Ces trois lettres, a, b, c, ne peuvent signifier que l’aptitude innée à tout être humain d’exercer, le cas échéant, les facultés qui y correspondent.
Ces facultés « sommeillent » ainsi dans l’essence à l’état de puissance. Pour passer à l’état d’acte, de concrétisation, on l’indique par les lettres a’, b’, c’ ; qui représentent respectivement l’amour, la connaissance et la sensibilité effectivement vécues par un individu.
Bien le passage vers a’, b’ et c’ est différent pour chaque individu, mais sur le plan de l’essence (a, b, c) il n’y a qu’une manière d’être ; ce qu’explique
Ramana Maharshi à propos de ce qui est et qui doit toujours exister, alors que ce qui apparaît nouvellement (a’, b’, c’) doit aussi disparaître. Ainsi on peut avoir selon l’individu : a’’, b’’, c’’ : a’’’, b’’’, c’’, etc. chacune de ces indications marquant un individu différent.
A l’état normal, les individus ne diffèrent pas les uns des autres du point de vue de la distribution de croissance des paliers. Dans cet état la réalisation existentielle respecte l’ordre essentiel : elle fait apparaître cet ordre pareil chez tous les individus. La variation individuelle se réduit à la diversité du « contenu » de chacun des paliers. C’est ce contenu qui peut être tantôt « pauvre », tantôt « riche », selon les individus et selon les circonstances.
Pour le palier de la sensibilité, nous sommes dans le monde spatio-temporel ou monde des accidents : nous pouvons tous nous voir les une et les autres, voir toutes les formes et couleurs possibles. C’est la même chose pour les organes : ils sont les mêmes pour une famille d’individus, mais leur activité ou état fonctionnel n’est jamais pareil chez tous. On parle alors de « formule endocrinienne », ou mieux d’ADN, de génotype, ou encore de « types » morphologiques, etc.
- Matérialisme : palier c et c’
- Intellect : palier b et b’
- Spirituel : palier a et a’
L’essence doit passer de sa virtualité à une « incarnation » dans tous les paliers. La Source, le
Centrum Centri, part dans les trois paliers. Pour vivre sa vie entière un être humain doit faire passer les possibilités de son essence dans la réalité : Réaliser le Soi, comme l’enseignait Ramana Maharshi.
Dans un état harmonieux les trois paliers correspondent au schéma ci-dessus. Mais le plus souvent les états s’en écartent d’une manière qui leur est propre. Par exemple les colonnes verticales abc et a’b’c’ ne correspondent plus, ne répondent plus étage par étage, ça ne tournent plus rond. Par exemple, un homme normal pleure parce qu’il et triste, tandis qu’un homme malade peut être triste parce qu’il pleure. Le premier a une « raison » valable motivant cette tristesse, alors que le second se fabrique une pseudo-raison, artificiellement « justificative ». Chez le second il y a état émotionnel sans cause raisonnable apparente.
Voici ce que dit des essences Jean Coulonval à propos d’initiation : « L’initiation est l’accès à la perception vécue des essences. Quand cette perception est acquise, se sont les essences qui jugent de la rectitude et de la justification des accidents (monde spatio-temporel) et non l’inverse, comme le font les philosophismes qui comptent sur le circulus logique pour se faire une idée de ce que sont les essences.En quoi ils font une grande erreur, car tout système logique, en se clôturant sur lui même (la fixation, la coagulation), se vit comme vérité en rejetant comme faux tout ce qui ne trouve pas place dans son cadre. Tout constructeur d’un système philosophique ne peut avoir vécu et expérimenté, sur le plan du sensible spatio-temporel et des constructions du mental, qu’une part infime de tous les accidents possible mais, de cette expérience des choses nécessairement limitées, il prétend extraire une vision de l’absolu qui ne peut être qu’une illusion. Les accidents possibles du sensible spatio-temporel et du mental logique sont en quantité indéfinie, et donc inépuisable (aspect chronologie tueuse). Donc une construction logique, si parfaite qu’elle puisse paraître, ne peut prétendre exprimer l’absolu et l’on peut dire de tous les systèmes philosophiques qu’ils sont vrais par ce qu’ils postulent et faux par ce qu’ils nient, ce qui fait qu’ils sont tous sectaires, non par intention consciente mais par nature. Ils sont tous nécessairement atteints d’un scotome de l’intellect dont le champ visuel global ne peut être réalisé qu’à partir des essences, ce qui implique un renversement des rôles : non plus chercher à répondre aux énigmes du Sphinx, deviner au travers des accidents ce que sont les essences mais juger des accidents à la lumière des essences.
Rien de nouveau sous le Soleil. Il n’y a de nouveau que ce qui a été oublié. Les accidents sont en quantité indéfinie dans le monde spatio-temporel ; mais les essences sont immuables, non soumises à l’histoire, éternelles. Le monde a été crée en mesure, nombre et poids et c’est vrai pour l’éternité ».
Ramana Maharshi disait que ce qui et réel doit exister toujours ; ce qui « Est » doit perdurer à jamais, ce qui apparaît nouvellement doit aussi disparaître.
Les essences chez Djalâl-od-Dîn Rûmî
- Ils avaient confiance en leur sainteté : mais à quoi sert-il au buffle d’avoir confiance dans le lion ?
...
- Qu’est la forme en comparaison de la réalité ? Très faible. C’est la réalité du ciel qui le maintient retourné.
Juge par analogie avec la roue céleste : d’où provient son mouvement ? de la Raison qui la dirige.
Le mouvement de ce corps pareil à un bouclier provient de l’esprit voilé, où mon fils !
Le mouvement de ce vent provient de sa réalité, comme la roue captive de l’eau du ruisseau ;
Le flux et le reflux, l’aspiration et l’expiration de ce souffle, d’où viennent-ils, sinon de l’esprit rempli de désir ?
C’est l’esprit qui fait du souffle tantôt
djîm, tantôt
hâ et
dâl ; il en fait tantôt la paix et tantôt la guerre.
De même, notre Dieu a fait de ce vent (de Sarsar) un dragon rugissant contre ‘Ad.
De nouveau, Il a fait que ce vent fût la paix, la sollicitude et la sécurité pour les vrais croyants.
« La Réalité ultime est Allah », a dit le Sheikh de la Religion [probablement Sadr od-Dîn Konyawî], qui est la Mer des réalités spirituelles du Seigneur des choses crées.
Toutes les couches du ciel et de la terre ne sont que des brins de paille dans cet océan.
Le mouvement impétueux des brindilles sur l’eau est produit par l’eau quand elle agitée.
Quand la Mer de la Réalité désire que les brins de paille cessent de lutter, elle les rejette sur le rivage.
Lorsqu’elle les attire de nouveau de la rive vers la houle, elle en fait ce que le vent de Sarsar fait de l’herbe.
Ce sujet n’a pas de fin. Retourne en hâte, ô jeune homme, à l’histoire de
Hârut et
Mârut.
...
- Quand une personne infatuée d’elle-même voit quelqu’un commettre un péché, il apparaît en elle un feu provenant de l’enfer.
Elle appelle cet orgueil infernal défense de la Religion ;elle ne perçoit pas l’essence de l’arrogance qui se trouve en elle-même.
...
- Si tu deviens un imitateur du chant des Oiseaux de Dieu, alors que ce qui provenait de lui n’était qu’un sifflement ressemblant à un écho.
Si tu apprends le chant du rossignol, comment sauras-tu ce qu’il éprouve pour la rose ?
Ou, si tu le sais, ce sera par analogie et supposition, comme les conjonctures que font les sourds à partir de ceux qu’ils voient mouvoir leurs lèvres [même avec l’invention du langage des signes]
(Extraits du
Mathnawî, Versets 3322 à 3358, Livre premier)
Le docteur Stocker explique la même chose que Jean Coulonval et Ramana Maharshi : Un grand nombre de penseurs et de philosophes, pour qui le réel doit être rationnel, entre dans la catégorie de ceux que Pascal a appelé : les
géomètres (ceux qui mesurent tout, ceux qui ne jurent que par la « science officielle »), ceux qui construisent des « ismes » ou théories ou doctrines. Ces gens là sont incapables de comprendre que la vie, la vraie vie, comporte tout un monde de faits « infra-rationnels » et « supra-rationnels », ce que
René Alleau décrit bien, dans son livre sur la tradition de l’Alchimie.
- Position a : aimer - vie spirituelle
- Position b : connaître - vie politique
- Position c : sentir - vie économique
Sur le palier a se trouvent les institutions religieuses : Églises, synagogues, mosquées, etc. et aussi valable pour les non croyants.
Sur le palier b se trouvent les institutions sociales gouvernementales, législatives, administratives, etc. relevant de l’État.
Sur le palier c se trouvent les institutions de production et de consommation : industries, commerce, finance, agriculture, etc., relevant de l’initiative et de l’organisation privée, et autant que possible, autonome ; à ce dernier palier vient se joindre les institutions militaire et policières.
Le cœur de la société se situe donc sur le palier a, et non pas comme de nos jours sur le palier c !
Cette trinité sociale était appliqué au Moyen Age selon le schéma ci-dessous.
Par exemple,
Georges Dumézil dans son ouvrage
Jupiter, Mars, Quirinus, explique que les indo-européens se représentaient la société comme formée de trois organes hiérarchisés assurant trois fonctions : administration magique et juridique, force guerrière, fécondité.
Dans l’Iran mazdéen, la société était divisée en trois ou même quatre degrés. Dumézil situe chez les Scythes trois classes avec leur symbole : la charrue pour les agriculteurs, la hache et l’arc emblème des guerriers, la coupe « qui descend du ciel » pour le spirituel (coupe étant l’emblème de la classe sacerdotale).
Rappel à propos de CLASSE.
Selon Jean Coulonval, c’est un phénomène psychologique de masse, né des réactions du sensible et du mental d’un groupe social formé de gens soumis à des conditions sociales et économiques massivement identiques. La classe,
dans le sens où elle est comprise à notre époque, ou plus exactement « sentie » par la tripe, est un phénomène d’agglutination des états individuels sentimentaux psychiques : classe ouvrière, classe bourgeoise, avec leurs multiples nuances : classes moyennes, cadres, agriculteurs, cols blancs, etc. De nos jours les classes sont un effet des statistiques, rien de plus. C’est une notion qui ne peut désigner des catégories sociales précises, bien tranchées [comme dans la trinité sociale du Moyen Age], et l’entendre ainsi c’est se noyer dans des confusions. Les classes (bourgeoise, ouvrière, etc.) sont déterminées, conditionnées, par une forme de rapports sensibles avec l’économique, et plus profondément avec la matière [chthoniens, telluriques].
Attention : la classe est le contraire de la CASTE :
Toujours selon Jean Coulonval, la caste prend ses légitimations dans le métaphysique.
Caste spirituelle : a la charge des rapports justes avec le divin.
Caste politique : doit connaître les rapports justes de l’homme avec lui-même, donc cette classe est supposée connaître l’être humain en ses essences ontologiques.
Caste économique : a la charge des rapports justes avec la matière et ses usages, donc cette classe est supposée connaître la science et la technique, et précisément ce qu’est la Matière, chose qu’actuellement ne savent faire que les Alchimistes !
Ces trois castes, devraient boucler sur elles-mêmes, comme sur le schéma ci-dessus, sans avoir l’une sur l’autre une supériorité ontologique ; égales en dignité, réalisant la vraie égalité.