Une autre caractéristique russe,
déjà évoqué sur cette page : qui dit steppe russe, dit vent, mais surtout âme russe, et en vertu des deux courants évolution et involution, dans l’âme russe se trouve une force menaçante et indomptable qui sommeille en permanence, comme une braise ardente dont on ne prête pas attention. Mais gare si cette force se donne libre cours ! ou s’il elle se sent menacée.
On peut ajouter une autre caractéristique russe, déjà évoqué avec
Ferdynand Ossendowski, d’après son livre :
De la présidence à la prison : la terrifiante bureaucratie russe, dont
Gogol s’inspira pour son récit :
Le Manteau ; donc qui dit bureaucratie dit NATURELLEMENT LAISSER-ALLER !
Qui dit Raspoutine dit services secrets
En effet, il était constamment sous grosse surveillance, non seulement pour surveiller ses allées et venues auprès de la famille impériale, mais maintenant pour le protéger. À l’été 1914 il se met à boire, à boire toujours plus, et ensuite il se mettait à danser, danser, dans le style des « bières spirituelles » des
Khlysty. Il ne gardait plus trace de « cette salope » et avait recouvré la santé et avec elle sa force bestiale et son endurance. Il allait être un des hôtes les plus assidus et les plus déchaînés des salons, les « boîtes » comme on dit maintenant, et des restaurants de Saint-Pétersbourg.
Mais il faut se rappeler d’un caractéristique spéciale qui peut se retrouver chez ceux qui approchent le mysticisme : la grande tenue à l’alcool, per exemple on retrouve ça chez l’Alchimiste
Paracelse, qui participait parfois à des fêtes avec grandes beuveries toute la nuit, et le lendemain après un court sommeil se réveillait frais et disponible. C’était pareil chez Raspoutine, il ne transpirait pas, ne vomissait pas, il n’avait pas d’acte indécent. Il se dessoûlait comme par miracle, au point qu’il n’exhalait pas la moindre odeur d’alcool.
Il trainait dans des restaurants notamment à
L’Ours, et c’est à ces occasions qu’il faisait étalage de son influence sur de hauts personnage. Il se faisait de la publicité ; ce qu’à très bien compris le prince
Youssoupoff, son assassin : chaque scandale autour de lui ne faisait que renforcer la position de Raspoutine !
Adresse de Raspoutine début 1915, appartement payé par le tsar :
Banque Raspoutine
64 rue Gorokhovaïa
Saint-Pétersbourg
Russie
Pourquoi
« Banque » ? Parce que Raspoutine va recevoir dans son appartement le monde de la finance de l’époque : les canailles, les spéculateurs, que Raspoutine appelait ses « secrétaires ». L’argent seul réunissait ces personnages, y compris Raspoutine. Comme écrit plus haut à propos de publicité, Raspoutine possédait désormais un trésor entre les mains : LES REQUÊTES des citoyens. Entrepreneurs, fonctionnaires civiles et militaires, pauvres Russes et riches Juifs - surement riches mais privés de droits à cette époque en Russie ; tous ne rêvaient que de contourner la diabolique bureaucratie russe. Et « Notre Ami », comme la tsarine appelait Raspoutine [encore une fois rapport à l'Égypte ancienne], leur offrait cette possibilité, moyennant finance évidemment. Évitant les innombrables barrages de l’administration, leurs requêtes passaient directement des mains du moujik Raspoutine à celles des ministres et même du tsar et de sa femme.
Bien-sûr qui dit beuverie et sorties « en boîtes » coûte très cher, mais Raspoutine ne se contentait pas de dépenser sans compter cet argent facile, il le distribuait généreusement autour de lui. Mais ne pas oublier les « secrétaires », s’il lui arrivait maintenant de prendre lui-même de l’argent, le plus souvent c’étaient ses « secrétaires » qui se servaient lorsqu’il trouvaient de riches solliciteurs. Sa suite de « secrétaires » constituait une machine à collecter les fonds auprès des solliciteurs. Des sommes considérables se mettent à circuler. Bref, une vraie banque !
Extrait d’une déposition : « Ses secrétaires, hommes et femmes, exigeaient et recevaient des sommes considérables, dont un tiers seulement finissait dans les mains de Raspoutine... »
Un autre larron fait son apparition : le juif Simanovitch.
Extrait de la déposition de la favorite et dame d’escorte de la tsarine, Anna Vyroubova : « Chez Raspoutine, j’ai rencontré un youpin désagréable, Simanovitch, ainsi que Dobrovolski, un type lui aussi extrêmement désagréable et méprisable. pour moi, il était clair que ces messieurs étaient des intermédiaires entre Raspoutine et ses solliciteurs et qu’ils combinaient toutes sortes d’affaires... »
Simanovitch, le « secrétaire », raconta que grâce à l’argent extorqué aux solliciteurs, Raspoutine « avait amassé un gros capital ». Cela s’avéra faux puisque à sa mort Raspoutine ne laissa rien du tout, puisque l’argent lui brûlait les doigts : les festins avec des notes de restaurants famamineuses et les distributions généreuses provenaient des admirateurs et admiratrices et autres quémandeurs.
Raspoutine et les Juifs
Simanovitch possédait une bijouterie à Kiev, mais il était fiché par la police comme joueur et usurier... Il prêtait de l’argent à des taux très élevés à la jeunesse dorée qui fréquentait des clubs (les boîtes). Il devint conseillé financier de Raspoutine et fut le rabatteur pour dénicher les solliciteurs qui rapportaient le plus.
En 1915 la guerre était en pleine fonction, mais des défaites survinrent et il fallut des bouc-émissaires, et conformément à l’anti-judaïsme en vigueur, les Juifs furent accusés d’espionnage, plusieurs d’entre-eux furent pendus pour rien. Puis on commença à expulser de Saint-Pétersbourg les juifs pratiquants, y compris de riches entrepreneurs. Par l’intermédiaire de Raspoutine, Simanovitch faisait en sorte qu’ils puissent rester dans la capitale. Simanovitch plaisait à Raspoutine, il appréciait son amour sincère pour son peuple persécuté et son acharnement à vouloir changer l’opinion que la famille impériale avait des juifs. Il aimait bien voir cette canaille extorquer de grosses sommes d’argent aux juifs nantis et aider gratuitement ses coreligionnaires pauvres.
Rappel : l’Affaire Beilis déclenche une vague de protestation contre l’anti-judaïsme de la famille impériale et du gouvernement.
Toujours l’évolution et l’involution : Raspoutine explique avec l’art de l’euphémisme égyptien ancien son attitude envers les juifs : « Je détourne leur attention, sinon ils causeront un grand malheur à la Russie », et il avait vu juste, car les juifs bolcheviks, ceux du début de 1917, allaient mettre la Russie sous le Goulag pendant 74 ans et provoquer des dizaines de millions de morts. Cela n’a pas empêché Raspoutine de « trouver très bien » les juifs qui se trouvaient parmi ses connaissances...
Les « fautes de grammaires » chez un prince manipulateur mais riche !
L’euphémisme
« Faute de grammaire » désignait à l’époque l’homosexualité, et le prince Mikhaïl Andronikov faisait beaucoup de grammaires... 39 ans, études au Corps des pages (le plus prestigieux établissement de Russie), issu d’une vieille famille de nobles géorgiens, fonctionnaires au ministères de l’intérieur mais viré pour manque d’assiduité au travail. Il fraye avec la police, colporte des ragots à travers les salons de la capitale et dans les administrations. Avec sa langue de vipère il portait préjudice à toute personne qui lui déplaisait. Son opinion sur telle ou telle personne ne dépendait que des relations qu’il avait avec elle : ceux qui le recevaient se voyaient encensés ; ceux qui l’évitaient étaient la cible de ses critiques et de sa haine...
Son valet de chambre le décrit ainsi : « Le prince recevait de très jeunes invités... surtout des élèves officiers, tous très jeunes et très beaux. Tous ces gens faisaient comme chez eux, buvaient, mangeaient, passaient la nuit, à deux dans le même lit... »
Ce prince voulut aussi profiter de la mine d’or des solliciteurs, et même se retrouver au centre de la « grande politique », il allait faire et défaire les ministres ; car c’était lui qui manipulerait Raspoutine...
Raspoutine chez les tsiganes.
Le Moscou tzigane avec les restaurants
Yar (1) et le
Strelna, lesquels étaient les lieux préférés de Raspoutine.
Une affaire éclate au restaurant
Yar : en mars 1915 Raspoutine aurait baissé son pantalon, exhibé son membre viril, et se serait vanté de porter une chemise brodée par la souveraine... On entre là dans le domaine de loufoquerie des contes russes, car ensuite on retrouve un certain Nicolas Soedoff s’occupant vaguement de littérature et voulant solliciter Raspoutine, afin de vendre en gros des sous-vêtements à l’armée russe. Bien-sûr cette personne promettait un gros pourcentage à Raspoutine ! Évidemment l’affaire ne put se faire...
Mais Raspoutine a-t-il vraiment montré son zizi au restaurant Yar ? Il paraît que non, parce que cela fut monté de mains de maître... par Raspoutine lui-même... Ce qui donne un bout supplémentaire du puzzle pour comprendre Raspoutine, et comme expliqué dans la page précédente à propos d’euphémisme et d’Égypte ancienne, il n’est pas étonnant qu’il puisse associer facilement des choses incompatibles entre elles ; ensuite il se montrait naïf, bon enfant, puis pouvait se montrer calculateur, rusé, prudent comme un vrai paysan...
(Référence à :
Raspoutine l’ultime vérité, de Edvard Radzinsky)