Dans le film de Kawalerowicz les costumes sont particulièrement beaux
et soignés, les décors reconstitués habilement mélangés avec les ruines
antiques existantes, la mise en scène est intéressante et inventive, et
elle s’accorde bien avec le format de l’écran, ce qui n’est pas si
courant.
Les symboles sont respectés et bien employés : l’ouverture du film par
le générique sur fond de terre sableuse, avec la progression des deux
scarabées sacrés roulant leur bouse, sur un fond sonore de souffle du
vent et de
musique concrète,
est magnifique, et renvoie à une foule de concepts qui ne peuvent, dés
ces premières minutes du film, être qualifié de péplum ! Ah ma bonne
Dame, les étiquettes pour faire vendre !
Les mouvements de foule sont originaux et beaux, les batailles sont
filmés d’une façon digne de Orson Wells. L’ensemble scénario, acteurs,
et esthétique forment un film unique et magnifique, que l’on peut
facilement revoir un grand nombre de fois, et qui peut même servir de
modèle ou référence historique ; surtout que la qualité d’image
restaurée en DVD est très belle, rien à voir avec la copie trop
contrastée et rayée diffusée sur Arte le 2 mars 2008. Et bonus sur le
DVD : le film comporte onze minutes de plus que la version diffusée
initialement en France. Onze minutes non doublées en français mais en
version originale sous-titrée, dont une belle scène pendant une éclipse
de Soleil vers la fin du film.
Les scarabées étant sacrés, dans l’histoire, on ne peut pas couper leur
trajectoire ni les déplacer, aussi pour faire passer une colonne de
soldats, pas de détour possible sans perdre beaucoup de temps, alors un
prêtre décide de combler un canal en phase d’achèvement... C’est le
point de départ de la rivalité entre le futur Pharaon de la XXe
dynastie et les prêtres, car le jeune futur Ramsès XIII nie
l’importance que le prêtre attache aux scarabées sacrés. C’est un peu
gros tout de même du point de vue hiératique, et surtout si
soudainement, mais pourquoi pas, il faut bien construire le film.
Le prêtre est intransigeant et fait combler le canal commencé il y a 10
ans. Chose terrible quand on sait l’importance de l’eau dans ce pays de
Soleil et de sable.
Paradoxe : ne pas déranger de simples insectes, ou réduire à néant la
réalisation d’un canal et son maître d’œuvre. Vous auriez fait quoi
vous à la place de Ramsès ?
Dans une société le pouvoir politique et le pouvoir spirituel devraient
être séparés, sinon c’est de la dynamite à la figure du peuple. Et dans
le film les prêtres se mêlent de politique extérieur !... Cependant à
cette époque les lois de l’Égypte leur permettaient de signer un pacte
avec des puissances étrangères.
Vient ensuite l’amorçage du problème des sous (l’Or) : le gouvernement de Pharaon n’en a pas, alors que les prêtres en ont !
En résumé : les prêtres sont un état dans l’état avec de l’Or mais sans
armée, et Pharaon n’a pas d’Or mais une armée !... Et à mon humble
avis, le futur Ramsès XIII est mal partit avec son petit côté
matérialiste de vouloir faire parler les armes et ramener 100 000 mains
coupées comme trophée de guerre. Et les prêtres sont en faute, car ils
devraient abandonner les richesses matérielles pour les richesses
spirituelles !
Cette reconstitution parfaite a nécessité deux ans de préparation, deux
mille figurants soigneusement habillés (pas d’informatique dans le
cinéma de 1966) et plusieurs mois de tournage.
Le jeu des acteurs est superbe et théâtrale, ce qui va bien avec la
lenteur qui doit avoir lieu dans ce pays de soleil et d’ombres. Ramsès
XIII (joué par
Jerzy Zelnik ) est superbe. Il avait 21 ans lors du tournage de Pharaon.
Ce qui est beau, c’est la figuration, elle participe intelligemment aux
scènes avec l’apport nécessaire des mouvements de caméra.
Le doublage en français reflète bien le son années 1960, période
prospère des 400 ou 600 cinémas de quartiers à Paris (12 à 20 salles
par arrondissement) et d’une multitude de distributeurs riches, qui
faisaient faire les doublages de façon un peu industriel à mon goût :
trop automatique ou sans recherche et dont le choix des voix ne colle
pas avec le personnage. Ou bien ce sont des cordes vocales cassées par
la fumée de cigarette ! Dommage.
Je reste stupéfait de la construction du char sur lequel monte Pharaon : le moyeu en est d’une finesse, et ça roule...
Le chant glagolitique accompagnant l’entrée du vieux Pharaon, le père
de Ramsès, n’est pas du tout déplacé, car ce style de chant hiératique
date du haut Moyen-Age européen, période particulièrement tournée vers
le spirituel, et une grande liberté de penser, avant que le clergé
catholique n’y vienne imposer une censure vers le milieu de l’an 900.
De toutes façons, à moins de mettre une musique du 20è siècle avec les
risques que cela comporte, nous ignorons tout hélas de la musique que
pouvaient jouer les Anciens Égyptiens, même la musique Copte est d’une
très faible indication. La vision subjective du vieux Pharaon assis sur
sa chaise à porteurs, et passant devant tous ses courtisans et une
enfilade de portes plus dorées les unes que les autres est superbe.
Nul par dans les reconstitutions du cinéma américain il ne se trouve le
réalisme stupéfiant de la reconstitution du film de Kawalerowicz. Ce
n’est pas une copie servile, mais une sublimation, une imitation
soignée certes mais peut-être faite de bric et de broc ce qui la rend
plus vraie que nature ! Ce mélange de son du Moyen-Age, de décors et
accessoires du 20è siècle avec les ruines de l’Égypte ancienne rendent
mieux que la réalité. Mais ni vous ni moi n’avons été passer nos
vacances il y plus de 2000 ans, alors laissons nous transporter en
rêves dans ce chef d’œuvre...
La séquence avec la vestale Kama est très sensuelle, érotique même, et
ressemble à un ballet dans cette ambiance sombre de teintes de gris
bleutés chauds du Temple, où ne vacille qu’une petite flamme sacrée.
Les intrigues de couloirs sont cruelles et assez tordues !
Comme écrit plus haut, on ne dispose pas de référence pour la musique
de l’Égypte ancienne, aussi pour accompagner une fête, Kawalerowicz
utilise habilement une rythmique avec de discrètes percussions. On sait
plus ou moins que les musiciens de ce temps utilisaient beaucoup de
percussions comme les cymbales, tambourins et autres dispositifs
frappés. La harpe était joué par des musiciens aveugles, dont on
possède de multiples représentations sur des fresques ou des papyrus.
Visuellement c’est superbe, car Kawalerowicz filme en caméra portée,
comme pour rendre un doux et sensuel enivrement par la bière et les
désirs.
Ah la séquence de bataille : soldats comme on peut en observer sur des
fresques, avec leur casque tressé de grosse fibre végétale plus ou
moins protectrice pour le crâne, large bouclier d’une main et longue
pique de l’autre, et tous avancent au son d’un chant poétique porté par
la voix forte d’un seul homme. Ce qui est beau et impressionnant, comme
dans la façon dont Orson Wells met en scène une bataille, c’est de voir
Kawalerowicz nous montrer longuement la marche des soldats vers le camp
adverse, en plans serrés, objectif souvent dirigé vers le sol, sur
lequel de temps à autre un soldat s’effondre victime d’un projectile,
ou un autre vacille prêt a tomber. Tous ça est renforcé en plus du
chant, par le bruit des pas sur le sable, l’essoufflement des soldats
dans leur progression et leurs cris pitoyables lorsqu’ils tombent
blessés, plus la vision subjective en volet de transition grâce à la
fermeture des paupières rougeoyantes d’un mourant. La manière de filmer
la désolation de la répartition géométrique des morts sur le champ de
bataille est très esthétique. Souvent les plans ressemblent aux
fresques égyptiennes colorées et très détaillées.
Seuls plans qui jurent un peu : deux chars de Pharaon devant l’état
actuel des grandes pyramides sans leur revêtement original. Mais ça
peut passer, vu qu’ici nous en sommes déjà à la XXe dynastie et les
plans sont très courts. Ramsès dit que la pyramide de son prédécesseur
Khéops
(IVe dynastie) était le fruit de sa volonté toute puissante. À mon avis
il y a une erreur, c’est plutôt l’expression de l’éternité, ou du
prolongement de la vie dans un autre plan.
Le nerf de la guerre étant l’argent, n’est-ce pas messieurs Rothschild
et Rockefeller ! ou Monsieur le Président de la République : pour la
passation de pouvoir et la révélation à votre successeur de la
combinaison des ogives nucléaires, les prêtres conduisent Ramsès XIII,
nouvellement couronné, dans le labyrinthe aboutissant à la salle des
réserves d’Or. Or : chair des dieux, réservé pour les temps difficiles,
aux dires des prêtres, et évidemment ils en sont les garants !
Impressionnante est la scène d’une éclipse du Soleil, ce que les
prêtres avaient prévus, et ils en profitent pour faire croire au peuple
qu’ils commandent aux dieux. Encore une fois ici, le mouvement de
panique de la foule est esthétique, mais fait aussi de la peine tant
ils gémissent.
Je ne sais pas ce qui a pousser les Polonais a produire un tel film,
mais ce sont certainement les dieux qui leur ont demander cette sublime
reconstitution, et qui les y ont aidés.
J’ai vu ce film à sa sortie dans une petite salle du quartier Latin à Paris et j’en garde un souvenir émerveillé.
Article fait par M. Roudakoff