Quelles sont les réticences principales rencontrées dans le domaine scientifique de la biologie et de la médecine ?
Les scientifiques actuels sont frileux. Ils ne veulent pas se mouiller. Pour eux, la recherche sur les NDE sent le souffre. Le vocabulaire mystique employé par les expérienceurs pour décrire leur expérience les fait fuir et classer le sujet dans la catégorie «délire» sans même prendre la peine de se pencher sur le dossier. En outre,
ils ont peur, peur de devoir remettre en question les « dogmes » scientifiques actuels dans le cas où ce ne serait effectivement pas des hallucinations. Imaginez un peu les conséquences si l'on prouve que la conscience n'est pas produite par le cerveau...
La science doit être curieuse, ouverte et en perpétuelle remise en question. Aujourd'hui, elle est devenue - en tout cas dans le domaine des sciences de la vie - dogmatique, ce qui est une aberration. Les chercheurs actuels cherchent surtout à se rassurer en avançant dans un monde dont ils ont eux-mêmes dessiné les limites. Et ils préfèrent nier l'existence de ce qui sort de ce cadre.
Dans le cas des médecins, vient encore s'ajouter la problématique de la mort. Pour eux, quand un patient en arrive à vivre une NDE, c'est un échec et ce n'est plus de leur domaine, puisqu'eux se battent pour la vie. Sans compter que beaucoup d'entre eux ont fait médecine parce qu'ils avaient justement peur de la mort...
Alors ils préfèrent ne pas en entendre parler. Seulement, ces expériences se produisent souvent à l'hôpital et ils ne peuvent plus continuer à nier le phénomène. D'où l'intérêt d'inclure les NDE dans leur formation continue, car les médecins ont une très mauvaise connaissance du sujet et auraient besoin de recevoir une information de qualité puisqu'ils sont en première ligne.
Pouvez-vous nous livrer en avant-première quelques résultats ou impressions issus de vos recherches et/ou d'une étude en cours ?
Je mène actuellement deux études en parallèle. Une étude clinique sur les NDE et une étude expérimentale sur les phénomènes de décorporation.
Malheureusement, dans les deux cas,je ne suis pas autorisée à divulguer de résultats intermédiaires avant la fin de l'étude et sa publication. Je peux néanmoins vous livrer deux observations générales que j'ai faites depuis la création de Noêsis. D'une part, les phénomènes de type NDE et OBE confondus sont beaucoup plus courants que l'on ne le pense. D'autre part, la recherche scientifique se heurte à un problème de taille avec l'étude de ces phénomènes. En effet, la rigidité de la méthode scientifique qui exige la reproductibilité des résultats pour des expérimentations menées dans des conditions identiques standards s'accorde mal avec le caractère par essence fluctuant des états de la conscience. Si la science relève, comme je l'espère, le défi de s'aventurer dans ces eaux-là, cela passera probablement par l'avènement d'un nouveau paradigme scientifique.
Le concept de « délocalisation de la conscience » est-il pour vous intéressant en tant que réalité établie, intuition/impression/conviction intime ? Ou les EMI ne représentent-elles qu'un phénomène psychologique, neurochimique ?
Dans l'état actuel de nos connaissances scientifiques, il est difficile voire impossible de répondre à cette question. Une chose est sûre il ne s'agit pas d'une réalité établie. Les EMI en elles-mêmes ne prouvent absolument rien. Il s'agit uniquement de témoignages (donc de données subjectives) dont le contenu est parfois tellement délirant qu'il est tout à fait légitime de les assimiler dans un premier temps à des hallucinations d'ordre psychologique ou neurophysiologique. Cependant, il y a un élément de l'EMI qui est plus troublant que les autres et qui est le seul que l'on puisse espérer vérifier de manière scientifique, c'est celui de l'OBE, cette impression de « sortir » de son corps et de pouvoir se déplacer et percevoir son environnement sans celui-ci. Là encore, il ne s'agit dans la plupart des cas que de témoignages, mais certaines fois les perceptions rapportées ont pu être vérifiées par le personnel médical et se sont révélées extrêmement précises, alors même que l'EEG du patient était plat. Il en faudra plus, bien sûr, pour convaincre la communauté scientifique que la conscience peut se délocaliser et il ne s'agit effectivement pas encore d'une preuve irréfutable sur le plan scientifique. Mais j'avoue que personnellement, cela me suffit pour avoir la conviction intime que la conscience n'est pas le fruit de l'activité neuronale. Mais là, je ne parle plus en tant que scientifique. Je parle de mon ressenti intime et je ne prétend donc pas qu'il s'agit de LA vérité.
Quelles sont, selon vous, les implications ou enjeux de la prise en compte d'une conscience délocalisée pour la médecine, la psychologie, ou même la société humaine dans son ensemble ?
Si l'on parvient à prouver que la conscience peut se délocaliser et surtout qu'elle n'est pas produite par le cerveau, on assistera à une révolution sans précédent, probablement plus importante encore que celle provoquée par la découverte que la Terre est ronde ou qu'elle tourne autour du Soleil. Il est même difficile d'imaginer toute la portée d'une telle découverte qui remettrait en question notre vision même de l'Homme et de sa place dans l'Univers, en relançant une question à laquelle notre société occidentale dans toute son arrogance et son manque d'humilité pensait avoir répondu une bonne fois pour toutes : celle d'une forme de survie après la mort. Car, en fin de compte, quelle est la véritable question qui se cache derrière cette notion de délocalisation de la conscience, si ce n'est celle de sa survie au moment de la mort du corps physique, puisque la conscience ne serait donc pas irrémédiablement liée à ce corps qui ne serait qu'une sorte de véhicule ? On touche donc ici aux grandes questions existentielles :
qu'est-ce que la Mort et qu'est ce que la Vie ? Si la mort n'existait plus, on soulagerait l'Homme de son angoisse primordiale, mais ne le priverait-on pas par la même occasion de son principal moteur ? Sans compter que, comme dans toute découverte scientifique, il y a toujours le revers de la médaille. L'Homme chercherait certainement à en tirer des applications pratiques pas forcément très glorieuses, comme par exemple utiliser la décorporation pour aller espionner son voisin. Aux États-Unis, on sait que la CIA a déjà financé dans les années 60 des recherches importantes sur les phénomènes psy dans ce but-là...
Ce dossier pourrait également être l'occasion pour Noêsis de faire connaître son existence et de faire un appel aux lecteurs de NEXUS qui souhaiteraient participer à votre étude. Pouvezvous définir ce centre ?
On s'attarde beaucoup sur le côté spectaculaire des NDE et on parle surtout des changements positifs qu'elles apportent dans la vie des expérienceurs, mais on oublie que vivre une NDE ou tout autre expérience liée à une modification de la conscience relève en général - du moins dans un premier temps - d'un réel traumatisme. Le centre Noêsis est le seul centre de recherche scientifique qui offre également un accueil, une écoute et même si nécessaire un soutien psychothérapeutique aux personnes qui ont un vécu difficile autour d'une expérience liée à un état de conscience modifié (NDE, OBE ou autres). Le centre fonctionne selon le système de l'échange : nous offrons notre soutien, mais nous avons besoin des expérienceurs pour mener à bien nos recherches. Actuellement, nous avons entamé un programme de recherche sur le phénomène de décorporation (que certaines personnes vivent en dehors de toute situation de mort imminente) dont le but est d'essayer de vérifier dans des conditions expérimentales rigoureuses la réalité des perceptions visuelles rapportées au cours d'une OBE pour pouvoir la distinguer définitivement d'une hallucination. En collaboration avec des hôpitaux suisses, nous allons également étudier les mécanismes cérébraux associés à ce phénomène par imagerie cérébrale. Pour cette étude, nous recherchons actuellement des candidats. Nous encourageons donc toute personne vivant des OBE plus ou moins à volonté, de manière spontanée ou à l'aide d'une technique, et qui est intéressée à participer à une recherche scientifique, à nous contacter rapidement :
http://www.noesis.ch ou + 41 22 346 97 74.
Propos recueillis par David Dennery
[ Article du journal NEXUS n° 46, de septembre-octobre 2006 ]