Quête, Amour, du A privatif et Mur ou Mort : privation de mort. L’Amour est plus fort que la mort, donc plus fort que la vie. La vie ne vaut que par ce qui la dépasse : en elle il y a pressentiment et acceptation de la mort. Michel Vieuchange a dépassé la vie. Il ne cherchait pas à A-teindre, il avait soif de ce qui est vrai, même si c’était désespérant, brulant et mortel comme la Vérité, comme ce qui est impossible. Michel Vieuchange voulait certainement aller à Dieu non par
dépassement, mais par
arrachement. Il fallait tout perdre, y compris la vie, pour entrer dans cet Univers éternel. Comme l’Alchimiste, Michel était le seul à savoir ce qu’était la Matière, donc le seul à savoir ce qu’était la mort : il a accompli son Grand Œuvre, soit la gratuité la plus pure de tout son Être. Il ne pouvait pas faire plus. Il était resté ENFANT, et avec son frère qu’il « rajeunissait » par les descriptions de ses rêves, ils ne formaient qu’un seul être.
Le parallèle du Labour alchimique de Michel Vieuchange se trouve décrit dans une gravure de l’ouvrage d’
Henri Khunrath :
L’amphithéâtre de l’éternelle Sagesse. Sur la gravure : une cité, au centre, une forteresse triplement défendue par un labyrinthe circulaire à 21 portes (3x7) ; autour de la citadelle : des hommes, femmes et enfants en petits groupes placés devant chacune des portes du labyrinthe. Les petits groupes en représentent la civilisation et les connaissances humaines et la rationalité. Mais comme l’atteste la disposition des groupes et des portes, il n’y a pas de vérité centrale accessible à l’humain. Ni l’action, ni la connaissance par le mental ne sont capables d’aider l’humain à pénétrer dans les profondeurs du savoir. La voie unique est LE CALVAIRE (crâne), avec sa devise inscrite au fronton de la « Citadelle Alchimique » :
Rudes derident quod sapienti magni faciunt et admirantur, avec son parallèle au TAO : « Les ignorants ne font que rire du TAO. S’il n’était pas tourné en dérision par eux, ce ne serait pas le pur TAO ». De tous temps les gens se moquent de l’Alchimie, c’est d’ailleurs pour ça qu’on l’appelle aussi
« Jeu d’enfants ».
Il est dit que le TAO est insipide, et que le Taoïste qui l’incarne ne l’est pas moins, car la lumière qu’il porte en lui reste cachée. Si elle est authentique, elle ne doit pas être perçue extérieurement par le vulgaire. Ainsi le vrai Taoïste a une parfaite simplicité qui lui donne l’apparence d’un sot, ou plutôt d’un enfançon : embryon d’immortalité.
Le voyage initiatique de Michel Vieuchange est identique au SOUFRE : le désert méprisé et dangereux où rien le pousse, où c’est « vide », soit la matière « vile et méprisée » que les auteurs alchimiques nomment
« triviale » : elle ouvre les trois voies ou trois Œuvres (Noire-Blanc-Rouge). Les Alchimistes parlent de « fumier » « que l’ignorant ne pourra pas croire qu’il soit dans l’Or ».
L’Alchimie se nomme aussi
« Science des fous », et il faut être fou pour aller presque seul dans un désert à la recherche d’un « mirage ». Il faut être fou pour affronter la CHIMÈRE. Le Tarot a sa lame majeure nommée le «
Mat », le « Fou », ou « l’Alchimiste », toujours représenté par un homme, sorte de Vagabond ou de Trouvère portant un baluchon et une canne, suivi d’un animal à quatre pattes qui le presse à s’enfoncer vers la Chimère, comme le feu intérieur qui pousse Michel Vieuchange vers Smara. Le TROUVÈRE : voir le trou, donc hors de tout binaire terrestre… Pour Michel c’était
Smara.
Le Fou ou Mat, une place paradoxale entre le « monde » et le « bateleur » (l’artiste) qui créé l’illusion du JEU. D’ailleurs les prétoriens ont déguisé le Christ en bouffon de carnaval et ont joué aux dés les vêtements du
« fils de l’homme » : les valeurs sont totalement inversé, comme aujourd’hui. Bref, le SAVOIR brûle, comme le feu du désert… comme l’infini du désert, de l’espace, du VIDE.
Le Grand Œuvre de Michel, son Labo-Oratoire commence innocemment pendant son service militaire à 22 ans, au Maroc en 1926, là où il découvre la Silice, le Sable si cher aux Anciens Égyptiens. Comme son frère l’écrit : « Il s’émeut des contrastes que le vieil Orient lui propose et qui lui inspirent un essai sur l’Humanité des villes d’Afrique ».
Un ami,
Émile Benveniste, fait connaître à Michel : Rimbaud, Nietzsche,
Walt Whitman ; il trouve aussi des intérêts dans
Les Nourritures terrestres, ou
Tête d’Or.
Dès lors, l’espace du Désert poursuit Michel comme la Chimère : de
Khiméra, Khimaira ou rêve ou monstre mythologique en Grecque, ou folie. Chimère, c’est le gouffre des représentations imaginaires avec ses dangers. Le Gouffre sans fond. Dans
Khiméra et Alchimie il y a
Chimère Chimaera.
ALQUIMIE = AL le Soleil EL, principe Divin qui mit E ou tridents du E
Trinité. Rassembler le Tout dans le principe/origine à partir de ce principe/origine. Le Désert et sa chaleur-mouvement était donc le Labour-Oratoire de Michel.
Michel Vieuchange avait une enfance dans la bourgeoisie de
Nevers : éducation religieuse, études littéraires à Paris en 1922, où il admire les poètes grecs,
Gustave Flaubert,
Frédéric Mistral. Michel part pour la Grèce en 1923 (à 19 ans), un voyage qui pour lui signifie
« liberté et Soleil ». Au retour il écrira
Hipparète, imprégné de l’influence de Mistral : une tentative de faire revivre l’Athènes du cinquième siècle.
Selon Jean Vieuchange,
« famille, patrie, religion » sont « des murs entre lesquels il étouffe. le contraire m’eut étonné !!! Michel est attiré par la Chimère ou l’inconnu,
« ne pas chercher l’absolu mais simplement la vie ». Il écrit :
J’ai toutes les faims et toutes les soifs.
Je reste seulement avec ce qui gonfle ma jeunesse.
Seuls sont proches pour moi tous les désirs.
je suis ébranlé par toutes les choses.
Je suis étourdi.
Tout me plaît et m’attire.
…
À partir de 1928 il écrit quelques scénarios pour le cinéma, cette nouvelle technique qu’il considérait comme un prodigieux moyen d’expression, dont il apprend les règles. « Il se proposait de mettre en scène une naïve histoire d’héroïsme et de passion. C’eut été un film dépouillé, près de la vie, dans la manière de certains films russes, et pour lequel il comptait utiliser d’une manière neuve les effets sonores », écrit son frère Jean. Michel c’était les arts, et Jean se sera la médecine, soit selon eux un équilibre parfait : « De même que je profitais de ce qu’il écrivait, ainsi Michel trouvait une véritable sécurité à me savoir médecin. Car ce que l’un faisait, il le faisait pour nous deux et l’autre ne pensait plus à le refaire,
tout nous était commun : en commun nous avons travaillé à gagner de l’argent qui devait nous servir à réaliser nos projets.
C’est ainsi que dans la diversité de nos efforts et de nos projets, dans leur alternance, dans ce perpétuel rejaillissement nous trouvions notre plénitude ».
Mais la littérature, la science, ce n’est pas de l’action, le voyage en Grèce n’a pas encore transformé Michel, les mains et les pieds ne participent pas, des pensées nouvelles le hantent,
« il lui faut passer au Laboratoire et au fourneau ». Il veut
« piloter le Vase, le Vaisseau ». Bientôt le nom du
Rio de Oro le harcèle. Il faut dire qu’en 1929-30 c’est le début de
l’aéropostale, avec les nombreuses tragédies quelle entraîne, notamment la traversée de régions de pays dissidents (terroristes, dirions-nous aujourd’hui). La guerre entre l’Orient et l’Occident ne date pas d’aujourd’hui, les Maures en 1930 étaient farouchement opposés à la
« civilisation », et malheur à qui tombait entre leurs mains.
Dès septembre 1929, Michel et son frère Jean Vieuchange, de 18 mois plus jeune, ont arrêté leur décision : ils seront les premiers voyageurs solitaires à atteindre Smara. « Mon frère étudie les explorations antérieures, consulte des ouvrages, articles, cartes qui lui montrent combien les connaissances que l’on a sur ces régions ont besoin d’être précisées » (la situation est resté identique depuis
Camille Douls), « sauf que les nomades sont, depuis lors, devenus plus agressifs » écrit Jean Vieuchange.
Ils songent à s’intégrer à un caravane avec quelques compagnons, mais cela semble peu réaliste, on peut les démasquer, ils risquent d’être rançonnés ou de se faire égorgés, ou d’être livrés aux autorités françaises qui leur interdiront les accès aux pistes.
Finalement il est décidé que Michel partira seul, déguisé en femme berbère.
« L’enthousiasme avec lequel Michel expose son projet, la facilité avec laquelle il consent à faire enlever la couronne [en Or] qui protège une de ses dents, et à se faire circoncire si cela est nécessaire, le mépris qu’il montre pour les fatigues et les risques de captivité, de blessure ou de mort, décident le caïd Haddou à l’aider ». Caïd Haddou, ancien ministre d’
Abd el Krim. C’est ce caïd Haddou qui recommande un personnage qui accompagnera Michel tout au long de sa quête : Ahmed ben Hamou el Mahboul (le Mahboul dans les carnets de Michel), un indigène de la région d’Imgrad, qui connaît parfaitement la dissidence et s’est fait là de nombreux amis.
Comme déjà écrit sur la précédente page sur Michel, ce n’est pas le but qui importe mais LE SENTIER OU LABOUR (du laboratoire ou Labour et Oratoire : le départ est identique à l’arrivée).
RAPPEL : Michel Vieuchange n’est resté que moins de 3 heures à Smara, l’endroit de ses rêves :
« Cordoba lejana y sola… Nunca llegaré a Cordoba… » (Cordoba lointain et seul… Je ne suis jamais à Cordoba… ) dit un chevalier dans un
poème de Federico Garcia Lorca (voir la chanson dans la vidéo en fin de page) ; chevalier qui comme Michel contemple l’horizon de ses rêves, les tours d’une ville inaccessible. Car entre la ville et son désir s’étend le fossé de la mort, ce qui correspond bien à la quête de Michel.
Tout ce qui arrive est de l’ordre de l’événement et non de la fin (des temps) : rien de réel ni de définitif ne se produit dans le spatio-temporel. D’ailleurs, c’est ce qu’exprime le langage courant que l’ignorant confond avec les accidents du chemin et le but :
« Le pauvre, il croit que c’est arrivé ! » Ce qui signifie : c’est bien arrivé comme événement, mais cet événement n’a pas la consistance définitive que le profane peut lui attribuer, car il sera demain et après-demain balayé et remplacé par d’autres événements dans ce monde de l’opinion ou dualité sujet-objet. ; rien de ce qui ARRIVE dans le spatio-temporel n’est vraiment ARRIVÉE : la mort seule fait le MARIAGE entre l’événement et l’être.
Arriver (atteindre) et arriver (sens de survenir, avoir lieu) désignent par le même mot deux opinions qui s’excluent l’une l’autre : tant qu’il arrive quelque chose, on n’est pas arrivé, et quand on est arrivé, il n’arrive plus rien. C’est d’ailleurs le concept du Judaïsme et de sa
« fin des temps ». Et le Judaïsme et ces religions du Salut et du messianisme refusent l’Instant ou Soi en désirant l’éternité sans passer par la mort (cas des transhumanistes et du Judaïsme et des religions à
« fin des temps » ou
« religions de l’avenir ».
Je situe Michel Vieuchange dans le camp des PAÏENS qui connaissent le SOI ou INSTANT, qui savent ce que veut dire AMOUR. Pour moi le CHRIST est un PAÏEN. Ces religions du messianisme ne peuvent que reposer sur la base du Paganisme.
Comme il n’y a pas de but, il n’y a pas non plus de possession : APPRENDRE (du A privatif et Prendre), car les connaissances acquises, comme un
« bagage intellectuel » ou de diplômes n’entraînent pas la connaissance, donc la délivrance. Seul celui qui ne cherche plus à prendre peut découvrir et con-naître : voir la citation de Michel ci-dessous résumant sa quête ; car con-naître indique la fin de la dualité sujet-objet, soit la naissance instantanée, dans l’Instant ou Soi, et non par étalement dans le temps d’un
« bagage culturel ». C’est cela le sens du mot Trouvère cité plus haut : voir le Trou ou Stargate.
Je marche. C’est mon seul but - suivre.
Il n’y a plus ni jour ni nuit pour moi.
Un seul besoin : atteindre.
Je dormirai n’importe où,
je souffrirai n’importe quoi.
(Michel Vieuchange, le jeudi 11 septembre 1930)
« Telles les molécules d’Or de toute une terre de charbon, condensées par le découvreur dans un gramme visible et pur.
Passé le Noun [Eau Primordiale et Oued], passé le Dra [fleuve] - étapes pour la modification recherchée - atteinte au premier toucher de la terre sainte de la ville », écrit Michel Vieuchange en un autre texte relevé par son frère Jean.
Smara, ville de nos illusions…
Nous marchons vers toi comme des ravisseurs.
Nous marchons vers toi aussi comme des pénitents.
Et nous dirons à l’ami ou à celle
qui nous interpellera sur le chemin :
Je ne vous connais pas.
…
(Michel Vieuchange)