Suite des
« Sublimes paroles et idioties » de
Nasr Eddin Hodja.
Petit rappel :
Les récits les plus forts de Nasr Eddin Hodja nous paraissent ceux qui jouent non pas du registre de la subversion sociale ou morale, mais sur celui, infiniment plus dérangeant, de la subversion du sens, présentant la raison ordinaire comme une aberration, voir comme une folie, et la folie apparente comme la raison suprême.
L’ÉTAT DU MONDE
Un petit groupe de garnements occupés à ne rien faire sur la place décide, pour s’amuser, de jouer un bon tour à Nasr Eddin : lui voler ses babouches. On verra bien alors comment il va se comporter s’il doit traverser tout le village pieds nus. Le voici justement qui arrive.
- Salut sur toi, Hodja ! Tu tombes bien, car nous avons un différend à ton sujet.
- De quoi s’agit-il ?
- Certains d’entre nous prétendent qu’à ton âge tu serais encore capable de grimper en haut de ce platane, et d’autres disent que non. Peux-tu essayer pour nous départager ?
Sans faire ni une ni deux, Nasr Eddin commence à grimper dans l’arbre avec agilité, après avoir soigneusement mis ses babouches dans sa large ceinture.
- Behey, Hodja ! s’écrient les enfants, comme tu es imprudent ! laisse donc tes babouches en bas, elles vont te gêner...
- Peut-être, mais vous saurez que l’état du monde reste inconnu, et il se pourrait que je trouve là-haut un petit raccourci pour rentrer chez moi.
(D’après le livre : Absurdités et Paradoxes de Nast Eddin Hodja, recueillis et présentés par Jean-Louis Maunoury, Éditions Phébus)
[En haut, illustration de
Jiri Trnka]
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