La veille,
Shrî Bhagavân avait dit que le Soi est pure conscience en sommeil profond. Il avait souligné également que la transition du sommeil à la veille est l’état idéal pour réaliser le Soi. Il fut prié d’en donner l’explication.
Shrî Bhagavân répondit de bonne grâce :
« Le Soi est pure conscience dans le sommeil ; dans la phase de transition, le Soi se déploie sous la forme d’
aham (Je) sans
idam (ceci) ; à l’état de veille il se manifeste sous la forme d’
aham et d’
idam. L’expérience individuelle ne peut s’effectuer qu’à travers l’
aham. Le chercheur doit donc aspirer à la Réalisation par cette voie (c’est-à-dire par le moyen du ‘Je’ de la transition). Autrement, l’expérience du sommeil n’a pas de sens pour lui. Si ce ‘Je’ de transition est réalisé, le substrat est trouvé, et cela mène au but final.
Le sommeil est, dit-on,
ajnana (ignorance). Mais cela n’est qu’en fonction du faux
jnana (connaissance) qui prévaut dans l’état de veille. En réalité, l’état de veille est
ajnana et l’état de sommeil est
prajnana (pleine Connaissance). La
shruti [Écriture révélée] dit : “prajnana est le brahman [
Mahâvâkya de l’Aitareya-upanishad (Rig-Veda)]”. Le brahman est éternel. Celui qui fait l’expérience du sommeil est appelé
prajna. Il est le
prajnanam dans les trois états, mais particulièrement dans l’état de sommeil où il est plein de Connaissance (
prajnana-ghana). Qu’est-ce que
ghana ? Il y a
jnana et
vijnana. Les deux opèrent conjointement dans toutes les perceptions. Le
vijnana en
jâgrat (état de veille) est
viparîta-jnana (fausse connaissance), c’est-à-dire
ajnana (ignorance). L’ignorance coexiste toujours avec l’individuel.
Quand le
vijnana devient
vispashta-jnana (connaissance claire), il est le brahman. Quand la fausse connaissance est totalement absente, comme durant le sommeil, le brahman prévaut en tant que pur
prajnana. C’est alors le
prajnana-ghana.
L’
Aitareya-upanishad dit que
prajnana, vijnana, ajnana et
samjnana sont tous des noms du brahman. Étant donné que le brahman est la seule Connaissance, comment peut-il faire l’objet d’expérience, puisque l’expérience est toujours associée au vijnana. C’est pourquoi, pour l’expérience du
prajnana-ghana, on doit saisir le pur ‘Je’ de la phase de transition. Le ‘je’ de l’état de veille est impur et ne peut pas servir à une telle expérience. D’où la nécessité d’avoir recours au ‘Je’ de la transition ou pur ‘Je’. Comment ce pur ‘Je’ peut-il être réalisé ? Dans le
Viveka-chûdâmani il est dit :
Vijnana-koshe vilasaty ajasram (Il resplendit toujours dans l’enveloppe de l’intellect, le
vijnana-koshd).
Le
Tripurâ-rahasya, de même que d’autres ouvrages, souligne que l’intervalle séparant deux
sankalpa (idées ou pensées) consécutives représente le pur
aham (Je). Par conséquent, en s’accrochant au pur ‘Je’, le
prajnana-ghana doit être fixé comme but et c’est la
vritti [mode mental] qui permet d’y parvenir. Toutes ces déclarations ont leurs places adéquates et respectives et, en même temps, elles conduisent à la Réalisation.
Le
Viveka-chûdâmani décrit aussi le Soi à l’état pur comme étant au-delà d’
asat [la non-réalité], c’est-à-dire différent d’
asat. L’
asat, dans notre cas, est le ‘je’ contaminé de l’état de veille.
Asadvilakshana signifie
sat, c’est-à-dire le Soi du sommeil profond. Il est aussi décrit comme étant différent du
sat et d’
asat. Les deux textes parlent du même Soi, qui est également désigné comme
asesha-sâkshî (témoin de tout).
Comment se fait-il que le pur ‘Je’ (
aham) puisse être expérimenté par le ‘je’ impur ? Une personne dit à son réveil : “J’ai dormi comme un bienheureux.” Le bonheur fut son expérience. Sinon, pourrait-elle parler d’une chose qu’elle n’a pas expérimentée ? Mais alors comment a-t-elle pu faire l’expérience du bonheur dans le sommeil, si le Soi était pur ? Qui est celui qui parle de son expérience au réveil ? Celui qui parle est le
vijnanatma (le soi ignorant) et il parle du
prajnanâtmâ (le Soi pur). Comment est-ce possible ? Est-ce que ce
vijnanatma était présent en sommeil profond ?
Son affirmation au réveil de l’expérience du bonheur dans le sommeil permet d’en déduire qu’il s’y trouvait. Mais comment s’y trouvait-il ? Certainement pas de la même manière qu’à l’état de veille, mais d’une façon beaucoup plus subtile. Le
vijnanatma, dans sa forme extrêmement subtile, peut, par le moyen de la
mâyâ [l’illusion, la manifestation du monde], faire l’expérience du bonheur du
prajnanâtmâ. C’est comparable aux rayons de la lune vus à travers les branches, les rameaux et le feuillage d’un arbre.
Il semble donc que le
vijnanatma subtil de l’état de sommeil profond soit étranger au
vijnanatma aisément perceptible de l’état de veille. Pourquoi devons-nous en déduire l’existence du
vijnanatma subtil pendant le sommeil ? Ne devons-nous pas nier simplement l’expérience de bonheur ressentie pendant le sommeil et en finir avec cette déduction ? Non. L’expérience du bonheur dans le sommeil est un fait qui ne peut être nié, étant donné que tout le monde recherche le sommeil et prépare un bon lit pour le plaisir d’un sommeil profond.
Cela nous amène à la conclusion que le connaisseur, la connaissance et le connu sont présents dans les trois états de veille, de rêve et de sommeil profond, bien qu’il y ait entre eux des différences subtiles. Dans l’état de transition, l’
aham (le Je) est
shuddha (pur) parce que l’
idam (l’objet) a disparu – l’
aham prédomine.
Pourquoi ce pur ‘Je’ n’est-il pas réalisé maintenant par chacun de nous, ou pourquoi n’en conservons-nous pas même le souvenir ? C’est simplement faute d’avoir fait connaissance (
parichaya) avec lui. Et il ne peut être connu que s’il est perçu consciemment. Par conséquent, faites des efforts pour y parvenir consciemment ».
(Ramana Maharshi, entretien 314 du 3-1-1937. Entretien nommé
”Gouttes de Nectar”).