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Ecrit par Sechy, le 02-01-2009 20:22

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Publié dans : Les News, Dernières news

Tags : Business, Cerveau, Conditionnement, Télévision

Index de l'article
La Télé Vendt
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N. : Quels sont les effets repérés d'autant d'événements vécus par procuration sur notre perception de la réalité ? N'est-ce qu'une question de quantité ?
M. L. : Pas uniquement. L'imposition d'images de fiction crée une perception déformée de la réalité et s'y substitue. C'est plus étonnant encore lorsqu'on réalise que les fausses morts de la télévision sont les plus aseptisées qui soient : pas de sang, pas de membres arrachés ou de thorax éventré ! Des morts proprettes de studio, à mille lieues du carnage des vrais meurtres et des champs de bataille. L'horreur de la violence est balayée par le système télévisuel et soigneusement évacuée. Ne restent que les clichés pour âmes sensibles, symboles de cadavres plutôt que cadavres avec leur densité visuelle inquiétante ; l'agonisant de la télévision a seulement le droit de régurgiter un filet de sang en débitant ses ultimes confidences au héros qui l'assiste dans ses derniers instants.
Ainsi, on nie la réalité de la violence. Si la guerre est ce qu'on en voit au petit écran, alors elle se supporte plutôt bien. La télévision enlève ainsi aux faits leur consistance brutale, comme elle enlève aux sentiments leur tension émotive. Par essence, le sensationnel de la télévision est le plus plat qui soit. Elle refroidit toute chose, maquille la mort, la guerre et la violence. Au petit écran, rien ne peut vraiment émouvoir : une image chasse l'autre.., ne reste qu'une succession de sensations vides.
Se plaindre de la violence à la télévision, comme on l'entend souvent, est foncièrement absurde. Moi, je me plains plutôt de ce qu'on ne nous montre pas à fond ces morts ! Ces accidents, ces meurtres et ces cadavres, je veux les examiner de près et dans toute l'horreur normale de la chose, dans l'espoir que cela vide un peu les salons de leurs esclaves télévisuels et que, par la même occasion, leurs cerveaux soient débarrassés de quelques-uns des clichés béats qui les encombrent.
Je citerais ici la sociologue Maria Wim : « Une fois que la fiction de la télévision est incorporée à la réalité du spectateur, le monde réel prend une couleur d'irréalité ou d'insipidité quand il ne confirme plus l'attente ou les espoirs créés par la « vie télévisée ». La séparation entre le réel et l'irréel s'estompe plus ou moins. Les conséquences de cette confusion des deux univers apparaissent dans nos quotidiens : 37 personnes voient qu'on assassine une femme dans une cour sans se porter à son secours, comme si c'était un drame télévisé. Un adolescent, témoin d'une terrible tornade dévastatrice, s'écrie tout bonnement : « Mon vieux, c'était comme à la télévision ! ».
 
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N. : La France a rendu obligatoire une signalétique permettant aux parents d'éviter les programmes dangereux pour les enfants. Qu'en pensezvous ?
M. L. : Là encore, protéger les enfants des émissions violentes, ou sexuellement provocatrices, etc., est l'affaire de chaque société, bien que je doute de l'efficacité de telles mesures, qui sont contournées par internet. Mais le fait de s'inquiéter autant des contenus me laisse perplexe quand on s'inquiète si peu des abus des contenants...

N. : Pensez-vous que le fait d'être informé en permanence par les JT favorise une conscience accrue et plus citoyenne des problèmes auxquels notre société est confrontée ?
M. L. : S'il est vrai, comme l'affirment certaines enquêtes, que la majorité des gens recueillent leurs informations courantes à la télévision, les conséquences en seront dramatiques. Les performances de la télévision sont médiocres, autant au chapitre des explications fondamentales des choses qu'à celui de la simple acquisition d'un savoir général. Ainsi, un sondage démontrait que 45 % des Américains sont incapables de situer l'Amérique Centrale sur une carte et que 57 % d'entre eux ne peuvent évaluer, même grossièrement, la population de leur pays.
La démonstration du pouvoir « pédagogique » et « informatif » est fort peu convaincante : une enquête citée par Neil Postman a établi que 51 % des téléspectateurs américains ne se souvenaient même pas d'un seul titre du journal télévisé quelques minutes après l'avoir regardé. En somme, malgré le flot et le clinquant, la rétention des informations est quasi nulle, eu égard aux heures consacrées au visionnage. Une professeure écrivait : « Je suis frappée par le fait que des étudiants qui regardent, paraît-il, plus de vingt heures de télévision par semaine, soient si peu instruits de tout ce qui se passe ailleurs sur le globe, sans parler de leur ignorance du passé (...) ».
Par sa nature tape-à-l'oeil, la télévision interdit toute saisie profonde de n'importe quelle question supposant réflexion et compréhension, qu'il s'agisse d'économie, de relations humaines ou de physique nucléaire. Elle porte une grande responsabilité en escamotant de la sorte les grands drames de notre époque qui menacent notre survie comme espèce, drames sans précédent depuis l'apparition de l'Homo sapiens. Elle démobilise les esprits non seulement en les bourrant d'insipidités - style téléromans, publicités, séries policières et spectacles sportifs - mais surtout en laissant croire qu'elle informe. Danger pour danger, il vaut mieux l'ignorance douce que l'illusion du savoir creux et sonore.

N. : Vous mettez en avant la perte de liberté liée au temps « perdu » devant le petit écran. Certes, mais qu'en est-il de l'espace. N'avons-nous pas gagné en conscience en accédant aussi aisément à ce qui se passe sur l'ensemble de la planète ?
M. L. : Il est clair pour moi que la télévision est une bonne chose en soi. Je constate l'ampleur de sa présence, les dégâts causés par les abus qu'on en fait, mais je constate également que divertir la société est aussi une tache noble... Molière en 2008 serait sûrement à la télévision, avec Shakespeare et Hugo... Je crois que les gens de 2008 sont mieux informés que sous Napoléon et on a vu la radio, d'abord elle, dans les années trente, faire reculer bien des ignorances entretenues par les élites du village... La télévision est venue dans les années cinquante ouvrir plus grandes les portes de bien des savoirs. Encore une fois, l'abus réside dans le nombre d'heures auxquelles on s'y adonne et non dans la chose en soi. Le verre de bon vin est si agréable, mais la bouteille entière... Dans des conférences, je rencontre des gens qui ont jeté leur télé par la fenêtre et qui viennent me notifier leur libération intérieure... Grand bien leur fasse, mais personnellement, je regarde la télé avec plaisir, en essayant de contrôler le temps que j'y consacre.

N. : Vous évoquez le rôle négatif de la TV pour la démocratie. Pouvez-vous expliciter ? Naomi Klein, journaliste politique, soutient que les informations télévisées représentent un matraquage traumatisant favorisant l'acceptation par le public d'une remise en cause croissante de nombreux droits (Choc Theory) - Qu'en pensez-vous ? Dans le même ordre d'idées, que pensez-vous des conséquences de la diffusion répétée d'images des attentats du 11 Septembre 2001 ?
M. L. : La question de la sélection systématique d'informations chocs et d'images chocs parmi les sujets possibles d'une journée ordinaire est effectivement majeure et les manipulations de tous ordres sont constantes et importantes. Le problème n'est pas très différent des manipulations de la grande presse et de la radio depuis cent ans... Au plan qualitatif, le fait que la télévision soit devenue le principal canal d'informations des populations concentre le problème. On voit que les journaux télévisés sont de plus en plus intégrés au spectacle permanent de la programmation télévisuelle. Avant même de m'inquiéter des sombres machinations des manipulateurs, je crois que les concepteurs d'émission recherchent la sensation et le superficiel par nature, moitié par paresse, moitié parce que cela correspond à la nature profonde de la télévision : divertir, qui est le contraire d'informer.
L'espoir le plus certain est la diversification des sources d'information, ne pas laisser la télévision jouer seule à son petit jeu du spectacle permanent. Le faisceau de médias - de la bonne vieille radio aux journaux et aux magazines en passant par les multiples sites d'internet - est essentiel pour contrebalancer les errements informationnels du monstre...

N. : Quel danger représente selon vous la TV pour la démocratie et son évolution ? À quoi attribuez-vous l'absence de prise en considération de ces dangers par la sphère politique ?
M. L. : La question est : peut-il y avoir une relation entre les politiciens et la population qui ne soit pas médiatisée par le spectacle télévisuel ? Est ce que cette mise en scène permanente des politiciens devenus des vedettes télévisuelles a des conséquences sur la nature même de la politique ? La réponse me semble OUI. La complexité des problèmes de nos sociétés modernes s'accommode très mal de la simplification outrancière à laquelle oblige le médium télévision. Est-ce normal que le meilleur politicien soit le meilleur communicateur et non pas le plus compétent ? J'ai connu des chefs d'entreprise qui n'auraient pas tenu cinq minutes dans un « talk-show » à la télévision, mais étaient dans les faits des gestionnaires aguerris et visionnaires. Mais ils n'ont pas à se faire élire... Il ne faut pas jeter la pierre aux politiciens car c'est une responsabilité collective et majeure pour la bonne gouvernance de nos sociétés du spectacle.


À propos de l'auteur
Sociologue de formation, Michel Lemieux est un spécialiste en recherche marketing, sociétale et Internet. Il est l'auteur de Voyage au Levant de Lawrence d'Arabie à René Lévesque (Septentrion, 1992). La Télé cannibale est paru en 2004 aux éditions Ecosociété, Montréal.
 
 
La culture de l'impuissance

Nous tombons malades si nous croyons consommer un poison. Or que fait la télévision à longueur d'émissions ? Elle suggère que le monde est dangereux, que des envahisseurs nous guettent, que la misère dévaste les pays du sud, que des tireurs fous mitraillent des enfants dans les écoles, que les fillettes belges tombent dans les griffes d'abominables pédophiles (...) que chaque pas nous conduit vers de nouvelles horreurs. Les réponses au mal proposées à l'écran sont dérisoires : seul un superman auquel un enfant de cinq ans cesse de croire peut sauver le monde ; face à la misère dans les slumms de Calcutta, il n'y a que des mères Teresa, des héros ou des saintes. Jamais notre force, notre bon sens, notre solidarité, notre liberté ne résolvent les problèmes. Ce sentiment d'impuissance rend impuissant. Ces images de souffrance font souffrir, ces messages d'angoisse nourrissent nos angoisses, et tout cela ne saurait conduire à la santé (...) Scotché au téléviseur, le cerveau hypnotisé, votre enfant est livré pieds et poings liés à la tyrannie télévisuelle. Les heures qu'il passe devant l'écran l'exposent à des effets que des parents aimants ne tolèreraient de personne (...) Chaque fois que nous installons notre fille ou notre fils devant l'écran, nous le soustrayons à un processus affectif constructeur et le livrons pieds et poings liés - ou plutôt corps et âme - à un maître inconnu. [Extrait de Comment la télévision et les jeux vidéo apprennent aux enfants à tuer, de David Grossman, René Blind et Michael Pool, Éd. Jouvence, p.56,6l,73.]
 


Dernière mise à jour : 02-01-2009 21:45

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