Suite des
« Sublimes paroles et idioties » de
Nasr Eddin Hodja.
Petit rappel :
Les récits les plus forts de Nasr Eddin Hodja nous paraissent ceux qui jouent non pas du registre de la subversion sociale ou morale, mais sur celui, infiniment plus dérangeant, de la subversion du sens, présentant la raison ordinaire comme une aberration, voir comme une folie, et la folie apparente comme la raison suprême.
- Nasr Eddin Hodja bouscule les idées des « biens pensants ». Ainsi s’impose le rapprochement avec le
soufisme et le contenu latent de certains des récits du Hodja, pour peu qu’on les soumette à l’interprétation : les adeptes du soufisme, cette doctrine ésotérique de l’islam, se désignent parfois comme des « fous sages » (oqala ye majnun), et cherchent dans l’extinction de l’ego une proximité avec le divin allant jusqu’à la fusion mystique.
Les « chercheurs » sont aussi invités à percevoir le monde et leur propre moi comme illusion qui voile la Réalité ultime. Or le rire, la dérision de tout ce qui relève du terrestre, peut être un moyen, certes secondaire, de prise de conscience et d’éveil : aussi existe-t-il des confréries soufies où l’on raconte, entre autres, des histoires de Nasr Eddin dont les absurdités et insanités dénoncent les illusions de toutes sortes, y compris et surtout celles de sa propre identité, ainsi que celles où on le voit entretenir, à l’instar du mystique, un rapport direct, intime, mais toujours conflictuel, avec Allah - aspect qui met cet humour au plus près du Witz juif.
(D’après la préface du livre Absurdités et Paradoxes de Nast Eddin Hodja, recueillis et présentés par Jean-Louis Maunoury, Éditions Phébus)
La tradition de Nasr Eddin est toujours aussi enraciné, développé, et jouit d’une grande estime, dans des milieux où domine officiellement un
islam sunnite, idéologiquement peu réceptif, pour ne pas dire hostile a priori, à tant d’universelle et roborative moquerie
(d’après Jean-Louis Maunoury).
HOMMES ET FEMMES
Un après-midi sur la place publique, un voyageur raconte à un groupe de badauds qu’il revient des lointaines contrées de l’Afrique, et il en décrit les curiosités.
- Là-bas, expose-t-il à un moment, il fait si chaud que les habitants ne portent aucun vêtement.
- Tu racontes des sornettes, lui lance Nasr Eddin. Ce que tu racontes est absolument impossible.
- C’est pourtant un fait. Ce sont des sauvages qui n’ont pas le sens de la pudeur.
- La pudeur n’a rien à faire là-dedans... objecte le Hodja.
- Quoi, alors ?
- Eh bien, ce sont peut-être des sauvages, mais il faut quand même qu’ils puissent reconnaître les hommes des femmes !